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Le Palais Idéal du Facteur Cheval


Pour commencer 2016 sur une note poétique, rien de tel que ce lieu follement onirique.
Tout droit sorti du rêve d'un seul homme acharné, dont le labeur ne dura pas moins de 33 longues années. 
Un endroit que l'on qualifie d'idéal, j'ai nommé le Palais du Facteur Cheval !






 
Créature, viens admirer ici la nature.
Tout ce que tu vois passant est l'oeuvre d'un paysan dessinée.

C'est en Octobre dernier en compagnie de deux bons amis que j'ai visité ce Palais Imaginaire situé sur la commune d'Hauterives dans la Drôme. Le temps d'un après midi sous un ciel fantasque, nous avons pu nous imprégner de l'atmosphère de ce lieu irréel, nous laissant conquérir par l’œuvre mais aussi par l'homme.



 
En 1879, au retour de l'une de ses longue tournées piétonnes (plus de 40 km par jour), le facteur Ferdinand Cheval alors âgé de 43 ans butte sur une pierre étrange. Elle lui rappelle un songe : celui d'un palais féerique.
Il se met alors à l'ouvrage pour bâtir ce monument unique en son genre, puisant ses inspirations des cartes postales et magasines qu'il distribue durant ses tournées et de la nature qu'il sillonne quotidiennement.



 
Jour après jour, il collecte des pierres lors de ses tournées qu'il rapporte chez lui avec sa fidèle brouette.
Sans faire cas du regard des autres qui le considérent alors comme "un pauvre fou qui remplit son jardin de pierres", il se met à bâtir son "temple de la nature" sur un terrain potager acheté quelques mois plus tôt, y consacrant tout son temps libre, jour et nuit.

Partout, des citations nous laissent entrevoir en Ferdinand Cheval un travailleur infatigable, obstiné.
Il semble avoir été voué corps et âme à son labeur dans une sorte de foi quasi mystique. A t-il jamais douté ?

En cherchant j'ai trouvé, quarante ans j'ai pioché.
Pour faire jaillir de terre ce palais de fées.
Pour mon idée mon corps a tout bravé
Le temps, la critique, les années.
La vie est un rapide coursier
Ma pensée vivra avec ce rocher.


  
Sans connaissances architecturales, sans études artistiques particulières, il fabrique lui même les moellons qui constituent la base du monument. Il n'utilise que des matériaux offerts par la nature : tuf, molasse, mâchefer, coquillages, ... Ses seules dépenses sont réservées à la chaux et au ciment.



 
De son imagination émergent peu à peu grottes, escaliers, tourelles, géants...dans un style baroque et foisonnant qui, je trouve,  n'est pas sans rappeler celui de Gaudi pour la Sagrada Familia.


 
Son ouvrage où cohabitent tout les styles de toutes les époques, cultures, religions, est une invitation au voyage. Cet assemblage hétéroclite qui pourrait au premier regard sembler décousu et un brin naïf, offre en vérité un regard volontairement universaliste. Il se révèle un magnifique message de tolérance et d'amour. Animaux, végétaux et humains s'y côtoient et s'y entremêlent dans un hymne à la vie, transformant ce lieu en véritable Arche de Noé.


 
 

 
Deux ouvertures permettent d'accéder à la galerie, ornée d'animaux, de frises de coquillages, de lustres...
Un peu partout, des citations poétiques attirent l'attention du visiteur. Ces volutes, ces teintes et ces textures me donnent l'impression d'avoir rétréci pour pénétrer dans un château de sable !






 
En 1904, le jeune poète Emile Roux Parassac vient visiter le monument et impressionné par l'ouvrage, compose un poème. Celui ci plaît tant au Facteur qu'il rebaptise son oeuvre "Palais Idéal" et retranscrit le poème à l'intérieur du  bâtiment en y ajoutant la mention "défense d'écrire là dessus". Ce poème le voici :

Ton idéal, ton palais

C'est de l'art, c'est du rêve et c'est de l'énergie.
L'extase d'un beau songe et le prix de l'effort,
Dans la réalité tu gravas la magie,
Et tu montras comment seul on peut être fort.
Les siècles béniront ce temple de ta vie
Et ton geste vainqueur saura braver la mort,
Tu laisses bienheureux ta noble âme assouvie
Loin de la basse faim de la gloire et de l'or.
Lorsque nous reviendrons dans ce palais étrange
Bercés par le passé, nous lirons ta louange
Sur chacun des cailloux que cisela ta main
Et devant ton labeur à l'idéal superbe
Tous en te bénissant t'offriront une gerbe
Où vivra la beauté de ton riant chemin
 
 

 
Après le dédain de ses pairs, vient le temps de la reconnaissance.
Vers 1920, André Breton considère Ferdinand Cheval comme un précurseur de l'architecture surréaliste. Puis en 1945, c'est Jean Dubuffet qui voit en lui un des pionniers de l'Art Brut.
Plusieurs artistes de l'époque viennent alors visiter le palais.
 
 

 
En 1969, André Malraux alors Ministre de la Culture et fervent défenseur du Facteur Cheval, décide de faire classer le Palais Idéal malgré de fortes oppositions. Il le considère comme "le seul exemple d'architecture naïve" ce qui lui confère une grande valeur.
Des artistes tels que Niki de Saint-Phalle, Max Ernst, Pablo Picasso ou André Breton avaient par ailleurs reconnu le génie de l'artiste autodidacte.
 
 
 
Issu d'un milieu rural, le Facteur Cheval est confronté dès son plus jeune âge à la misère, menant une existence rude où le deuil et la mort sont omniprésents. Il perd très jeune ses parents, un fils, une femme...De son second mariage naît sa fille Alice qui décède à l'âge de quinze ans, un drame pour Joseph Ferdinand Cheval.
 
Ami de la nature
Mais de naissance obscure
Ce qui rend souvent la vie dure
Je l'ai vécu sans murmure
 
 

 
On imagine facilement que son acharnement et son opiniâtreté aient pu être pour lui une manière d'occuper son esprit et d'exorciser ses peines. Le facteur souhaitait au départ être enterré en ce lieu et avait même prévu l'emplacement de sa sépulture. Cette dimension de tombeau ne peut être négligée, palpable, elle nous imprègne d'une certaine mélancolie. J'ai à un moment repensé à ma visite des catacombes de Paris où j'avais ressenti par moments une atmosphère similaire.
 
Souviens toi homme 
Que tu n'es que poussière
Ton âme seule est immortelle  






 
Ici, la vie et la mort sont intimement liées. Le palais ouvre la voie de l'immortalité à son auteur, le préservant de l'oubli. Suite à l'achèvement de son palais à 77 ans, Ferdinand Cheval s'est encore trouvé le courage de bâtir son "Tombeau  du silence et du repos sans fin" dans le cimetière du village. Malheureusement en travaux au moment où nous y étions nous n'avons pas pu le visiter mais j'espère pouvoir le voir un jour.

 

 
Inscrit aux monuments historiques, le Palais bénéficie d'une garantie de protection et de conservation. Cela est d'autant plus important que l'ouvrage est fragile et doit désormais faire l'objet de réguliers chantiers de restauration. Puisse t-il défier le temps et permettre encore à de nombreux visiteurs de tout horizons de rêver, le temps d'un instant, à un monde hors du temps, merveilleux et généreux comme un jardin d'Eden. 
 
 

 
On ne peut rester indifférent face à un monument comme celui ci. Il possède évidemment une valeur en tant qu’œuvre d'art d'un style unique. Mais c'est aussi et surtout, la matérialisation d'un rêve, le témoignage d'un homme simple mais hors du commun, un poète, un génie, touchant dans sa sincérité.

 


 
En visitant le Palais Idéal du Facteur Cheval, j'ai oublié tous mes a priori esthétiques pour me  laisser toucher par quelque chose de plus beau, de plus grand. Il faut le vivre pour le croire. Allez-y !
 
 
 

3 commentaires:

  1. Réponses
    1. Oui ! Ça l'est bien plus encore en vrai, qu'on aime ou pas on ne peut rester indifférent. Un de mes gros coup de coeur 2015 avec les Serres d'Auteuil !

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  2. Bonjour,

    Bravo pour ce bel article et ces très belles photos ! ! Serait-il possible d'en utiliser certaines pour un prochain article dans notre magazine ? Elles seraient bien sûr créditées avec un lien renvoyant vers ton blog.

    A bientôt peut-être,

    Adèle @ Joyeux Magazine

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